............Les portraits photographiques sont apparus sur les lits de mort. Il fallait une immobilité totale de trente à quarante minutes pour garder les traits d'un visage avec précision. Peu à peu les prises de vues se raccourcissent et du modèle tenu par des supports en fer on passe en une cinquantaine d'années aux instantanés des appareils portatifs. Tout un vocabulaire et des habitudes ont eu le temps de se mettre en place. on "immortalise", on essaie d'être "naturel", on "prend" la pose, on "sourit" à "l'objectif"... Comme si les sujets avaient pour vocation de grimper sur un piédestal virtuel et de se transformer en statues.

...........On ne se fait donc pas photographier comme on se faisait dessiner ou peindre. L'appareil est "armé" pour le cliché, le photographe cligne de l'oeil dans le "viseur", il "déclenche" l'obturateur etc... Un coup de fusil... la relation de l'artiste avec son modèle s'adapte merveilleusement à la production de masse qui naît au XIXème siècle. Les photographes garderont pour toujours un certain air d'aventure. Prédateurs sympathiques ou vulgaires, serviteurs du beau sexe ou voyeurs de bas étage, rarement cultivés, plus utiles au fond que respectables, ils profitent de l'affaissement du langage dans les sociétés de consommation. L'Image, c'est eux. Il m'arrive des nausées meurtrières à force de croiser des clichés de bipèdes mâles et femelles dans toutes les attitudes pédagogiques possibles. Ce monde se fait la classe nuit et jour. Il faut acheter ou vendre. Il faut croire. Il faut être sage. C'est l'heure de la récré... des devoirs à la maison, des leçons à ne pas oublier...

...........JJ'aime et je n'aime pas faire des portraits. Je n'aime pas qu'une photo, mine de rien, se donne trop d'importance. Mais il ya des gens qu'il faut retenir et faire voir. Quand ils ressemblent à des livres ouverts, quand ils dévoilent un secret sur l'obscurité, la vanité ou la force de nos vies, les portraits sont nécessaires. Si les modèles ne sont pas des sujets en extase, par une magie singulière, ils nous font quelque part de précieuses confidences: il n'y a qu'un pas de la vie à la mort et toute distraction peut être fatale.

...........JIci, quelques images des années quatre-vingt dix ou quatre-vingt, pour laisser faire le temps.