CHEMIN FAISANT ...
     
     
chemin au bord d'un cratère. photo michel ducruet.chemin au bord d'un cratère 2. photo michel ducruet.
Ducruet.©.2005.
 
  ................ Je me promenais sur le cratère, il n'y avait personne et j'étais bien. En contrebas, les attardés d'une partie de golf, gros comme des têtes d'épingles, faisaient des points rouges et noirs. Je shootais sur une pierre de temps en temps. Il y avait sur ma gauche quatre ou cinq rochers bizarres. Un peu plus loin des touffes de choux sauvages, des petits poils et crottes de lapins. Le sentier faisait moins d'un mètre de large... Je n'ai plus le vertige depuis longtemps. Je pose un oeil sur le piton central. On dirait un monstre de ferraille avec une espèce de chapelle construite dans les années vingt qui ridiculise le paysage, carcasses de civilisation plantée sur un reste de catastrophe. Des images se mélangent dans ma tête, je vois des hommes et des bêtes d'avant les machines, des villages primitifs, des ciels sans traînées de réacteurs, des orages divinatoires, des pêches miraculeuses... J'invente l'âge d'or improbable, les chasses, les branches courbées de fruits, les immensités partout , les secrets de la Lune... j'ai ramassé des cailloux noirs... Je prends l'escalier qui descend en zig-zag. Le vent s'arrête. Je m'enfonce dans les genêts, l'air est moite. A droite et à gauche des papiers suspects, un préservatif accroché comme une oeuvre d'art, des filtres de cigarettes, quelques bouteilles en plastique, des boîtes de bière vidées autour d'un tas de charbon de bois, une paire de lunettes écrasées, quelques sacs poubelle coincés à mi-hauteur. On accède à l'escalier de la chapelle par un pont sans parapet. On ne voit pas grand chose en-dessous à cause des ronces, mais c'est profond d'une vingtaine de mètres... Tout juste si deux personnes peuvent se croiser. Je repars en arrière parce que j'ai vu une trace de passage qui descend. Il fait de plus en plus sombre et je dois faire très attention aux épines... Le ciel se voit mal. J'ai marché sur une tête de chien ou de renard blanchie depuis longtemps. Au bout de cette espèce de tunnel un dégagement sans issue donne sur le rocher. Il ne fait ni jour ni noir, presque monochrome, presque l'île des morts... j'ai vu des taches plus claires. Il y avait des centaines de livres éparpillés n'importe comment, pourris de champignons. J'essayais d'en prendre mais les pages s'étaient collées ou tombaient en morceaux... Je vis les oeuvres complètes de Tacite, des classiques grecs et français, des volumes de la Pléiade irrécupérables, des traductions de Pasolini... des Lucien febvre, Marc Bloch, Braudel, Duby... Il y avait bien quatre à cinq cents chefs-d'oeuvres de sciences humaines et de littérature... On avait dû faire des dizaines de voyages pour les jeter là... ne pas se faire remarquer... Je me sentais mal dans cette fosse commune... Tels étaient lancés aux porcs les enfants indésirables des cités antiques... J'ai tourné les talons, me suis attardé une seconde sur la tête de chien... J'étais en haut avant de m'en être rendu compte, à peine essoufflé... Le vent s'était renforçé. Les joueurs de golf étaient partis. Des gens faisaient du quad en s'appelant très fort. J'ai croisé un couple genre pédagos, sourire protecteur, estime de soi garantie. Ils avaient l'air en forme, courbés sous des sacs de randonnée pleins comme des huîtres...    
 
     
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