INSIGNE...
     
     
femme assise . détail .  tableau de michel ducruet. huile sur toile .Verneusses
Détail étude pour les Leçons des Ténèbres. Ducruet.©.2005.
     
 

..........Ma tristesse n'est pas infernale, elle n'en finit pas et je n'ai aucune raison de me révolter. Je ne suis pas romantique et les chagrins de l'Amour ne m'ont jamais cloué au sol pendant des mois. Je suis victime d'une espèce de lumière qui baigne les choses et les gens que j'aime. Cette lumière venue peut-être de mon âge ou d'une accumulation imprudente de savoirs trop variés, me montre d'abord le peu de chemin qui me reste à faire pendant que tournent sur elles-mêmes les beautés du monde... Après tout c'est dans l'ordre des choses, il ne fallait pas naître et grandir, mais j'ai préféré les parfums , les couleurs et les bonnes températures à la nuit noire. Je ne regrette rien, même pas d'avoir cru au diable et au bon Dieu, car les mensonges délient la langue et entre menteurs les conversations donnent du relief au temps qui passe. J'aurais été douloureux de me rendre à la mort trop tôt. Je n'étais pas fait pour les champs de bataille ou les courses de moto, encore moins pour de précoces maladies mortelles, bien que j'aie résisté de toutes mes forces et d'extrême justesse à la vie sans antibiotiques... J'avais moins de deux ans mais personne ne pouvait choisir à ma place et mon destin consista donc à parier sur l'avenir en sortant de l'oeuf.

..........Attentif aux plus subtiles variations de l'air et des institutions, j'arrive à la soixantaine en ne jalousant personne, conscient qu'avec ou sans progrès les deux tiers de l'humanité ont déjà passé l'arme à gauche à cet âge, que j'ai vécu sans guerre mondiale ni épidémie de peste, mangeant à ma faim et buvant avec plaisir. Cela ne peut durer. Une grippe d'un genre nouveau peut faire le ménage, un oriental se payer une pétoire atomique et un ivrogne me couper la route au mauvais moment. Ce qui m'attriste vraiment c'est que s'en ira ce que j'admirais, devenant invisible ou carrément rien, comme certaines odeurs de la campagne ou musculatures de mains, allures des corps et tournures de langage... Que les bêtes sans résignation et sans peur iront au carnage, que les chats si savants ronronneront trop fort... Que mes amies si jeunes encore dans ma tête et toujours vives dans les fourrures ou vêtements d'été, n'approcheront plus leurs yeux lilas... Que mes enfants perdront leurs joues... Que les récits de mon père vont s'abolir et le son de sa voix... Que ma femme aura des chagrins cruels... Que personne après moi ne verra sur deux tréteaux, un jour d'hiver, le cerceuil de chêne de ma mère près du bénitier de sa naissance... Que les tableaux seront crevés ou en incertaine compagnie, que quelques photos tomberont d'un livre pendant son transfert à la décharge ...

..........Les dieux meurent aussi, les époques finissent à la ramasse et j'ai vu chez un brocanteur une cassette de légions d'honneur dont personne absolument ne sait qu'elles furent méritées.

..........Que reste-t-il contre la tristesse? Que pensait Pétrone en se taillant les veines? Je crois qu'il contemplait des reflets d'or sur les cheveux d'une esclave nubienne....

 
     
     
     
     
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