Les Statues, la Peinture, tristesses...
 

La mémoire est exigeante. Elle a besoin de séducteurs. La disparition des hommes est horrible, l'égalité dans la pourriture encore davantage. Que nous partions en fumée ou nous affaissions dans un trou, nous avons besoin de consolations. Elles ne sont jamais parfaites.

En cassant des cailloux près d'une rivière, un de nos ancêtres voit que les choses prennent une tournure étrange... Il accélère, tape plus fort, il se rappelle encore ce qu'il a vu dans le feu où grésillait la tête de sa victime, il sent sur sa langue le goût fade de la cervelle cuite dont il s'est régalé, il prend peur qu'elle ne ressorte de son ventre... Mais il continue, il frappe où ses yeux s'attachent, il imagine que la pierre a de l'esprit, qu'elle se métamorphose, que de l'intérieur surgissent des formes qui parlent...Il sent que s'il ne frappe pas cette pierre aux bons endroits, son ennemi se balladera dans son corps et hurlera dans son sommeil pour le forcer à des combats sans fin...A mesure qu'il tape et que se dégagent les orbites et la mâchoire, il reprend son souffle, dénoue sa gorge, relève la nuque et se sent léger. Dès que la caillasse est prête il se lève et la jette dans le puits de la grotte, là où les femelles font disparaître les charognes insupportables, les enfants morts et les détritus. Le pouls reprend un rythme lent, un sourire ou quelque chose comme ça lui détent la face, des images rapides et heureuses, des images de chasse le comblent d'aise, il s'endort quelques secondes sous un noisetier, puis retourne au soleil et surveille la troupe...

 
silex non taillé
silex à l'orbite
A mesure qu'il tape et que se dégagent les orbites et la mâchoire...
 
Les statues dans les squares et les cimetières peuplent les villes de fantômes inoffensifs qui nous protègent des souvenirs. Imaginez une seconde que tous les habitants du Havre sachent qui furent Benjamin Constant et Casimir Périer, il en mourrait quelques uns, navrés de leurs existences remplies de chômage, d'automobiles et de TF1. Les statues servent à ne plus trop s'inquiéter des ancêtres, puisqu'un hommage de qualité leur est rendu. J'imagine que des Rouennais se soulagent grâce à l'effigie de Flaubert. Madame de Cambacérès devient une oeuvre d'art......
     
le havre. statue de casimir périer. photo michel ducruet.
madame de cambacérès au père lachaise.
statue de benjamin constant. le  havre. photo michel ducruet.
Casimir Perrier. Le Havre. Ducruet©.
Père Lachaise. Paris. Ducruet©
Benjamin Constant. Le Havre. Ducruet©

Les bronzes et les pierres taillées sont assez efficaces contre le vide. Les portraits inaltérables ont un relent de sacré qui montre que tout n'est pas perdu quand on meurt. Marc-Aurèle sur le Capitole, Staline dans l'Oural, De Gaulle sur les Champs Elysées, Jésus de Nazareth à presque tous les carrefours...Les tableaux et les statues disent aussi que l'Homme est débrouillard : qu'il ne manque ni de héros ni de sages pour sortir les malheureux de la boue. Les chansons jouent le même rôle : quand tout semble perdu, celles qui s'envolent donnent l'impression de tourner indéfiniment autour de la Terre... Les dieux furent les premiers à s'installer sur les places publiques. Puis les souverains, les généraux, les hommes de lettres et de politique, les résistants, quelques étrangers remarquables, la foule des grands jours en quelque sorte...Cette armée silencieuse est en voie de disparition. Les hommes et les arts ont changé...

     
Le "Progrès"s'est emparé du monde. Les bonnes manières, l'humanisme des classiques ne sont pas adaptés aux amours des peuples qui apprennent trop vite à lire et surtout à compter. Quand il faut ingurgiter de la politique et de la culture tambour battant, que les masses doivent travailler, consommer avec le sourire, donner des coups de reins pour accélérer l'Histoire... Les effigies de héros descendent les escaliers, passent des neiges éternelles aux buffets de cuisine.
MD.©

L'Art devient possible à tous les coins de rues et pas seulement dans les squares. "Ceci est une oeuvre d'art" dit un rusé normand, joueur d'échecs, peintre rentré, qui fit de l'urinoir la Piétà du XXème siècle et de la roue de vélo une roue du Destin. Les Libéraux et les Totalitaires, c'est bien connu, aiment que la "Vérité" soit à la portée de toutes les mains et de toutes les bourses. Ils mettent sur le marché ou dans les écoles des vérités de synthèse, moins coûteuses que les produits anciens de l'artisanat. Les boîtes de soupe sont plus accessibles que les pommes de Cézanne. Les Marilyn plus gonflables que les Vahinés de Gauguin. Puisque les marchandises communiquent et que les codes-barres remplacent les prières, les individus ne sont des personnes qu'en de pénibles occasions : si la maladie les arrête et parfois dans le cabinet d'un psy. Mais dès que leurs activités repartent, qu'ils se jettent dans leur interminable présent, qu'ils ont assez de forces pour se remettre à la culture de masse, ils disent eux-mêmes qu'ils se sentent bien dans leur peau. Ce constat de santé, ce sourire retrouvé c'est évidemment la pierre angulaire du marché des mots, des sons, des gestes, des formes et des couleurs... Le Présent n'en finit pas de surprendre et l'Art de comprendre le Présent... Ces deux compères, comme larrons en foire, serrent les coudes pour la bonne cause : tuer le Temps et la Mélancolie...
     
figure du destin
Ceci peut être une oeuvre d'art.

Quelques observateurs de l'Art contemporain le trouvent poreux. Cette porosité au monde signifie qu'il a perdu de sa pureté, qu'il n'est plus étanche à la culture de masse, assimilée au kitsch c'est à dire aux nains de jardin...La Peinture ravalée à une pratique minoritaire et élitiste n'a plus de raison d'être quand elle reste seule, il faut la "croiser" à des "pratiques d'images", lui joindre par exemple les résultats de la photographie ou du cinéma. De leur côté les auteurs de BD, parlent de s'inspirer de la Peinture pour faire du nouveau, et ces spécialistes de l'idée courte sont tout à fait capables de produire des chimères avec des tableaux retapés au cutter. Comme le disent les truands c'est le dialogue qui compte... et puisque le blanchiement d'argent n'a d'égal que les rapports "impurs" de l'Art avec le "Réel" ( les marchandises ), ne pardonnons pas aux artistes de faire la guerre à l'ordre moral en cajolant les marchandises... Il existe une alternative pour sortir de là : être soi-même...

Cela veut dire qu'on surveille ses fréquentations. Les vrais amis ne sont pas les porte-bagages d'une douzaine de livres, de quinze proclamations et d'une centaine de citations postérieures à 1920. Je ne parle pas des artistes en fleur qui démarrent leur catalogue de références au milieu des années soixante-dix avec pour bréviaire les éditos d'Art-Press. Les trous de mémoire sont le plus gros des programmes dans les études artistiques et le "suivi" de "l'Actualité" penche de-ci de-là du côté des courants d'air...

Il vaut mieux rester à l'écart, se documenter sur ce qu'on connaît de la préhistoire à nos jours, aller aux sources vives du langage des formes, ne rien négliger. Connaître la géographie et l'histoire de ce langage, c'est hériter des vivants et des morts, s'interroger sur les conditions et les limites du cadeau, méditer sur les hommes qui déplacent le monde sans paraphrases. Jean-Michel Basquiat, j'en ai la preuve, a trouvé la Peinture sans la culture mais devint lucide en jetant un oeil sur Mondrian ou Cézanne et bien d'autres, ne supportant les Tags que dans le plan et la couleur seulement comme aire pénétrable, chamanique... Son "Pacte Social" limité aux explosifs qu'il ingurgitait, à des amitiés remarquables, n'a rien d'académique... Nos obsessions sont nos amies... Dès le départ il faut leur donner du corps et recommencer, creuser le trou au même endroit, faire sa vie, s'étendre,s'allonger un peu plus les jambes et les mains... Choisir un emploi sans trop payer de sa personne, compresser le temps contraint, s'arranger en soi pour que l'époque ne nous tue rien dans l'oeuf. La collectivité consommatrice n'admettant que des serviteurs et des tortionnaires dévoués, faire l'indien dans la réserve... La peinture, un métier? le mot n'a plus de sens... Un emploi? Une misère? Un loisir? Une antiquité? Une manie? Une thérapie?...Une prestation de service culturel?

     
noble de l'île de B... insulinde.
indien
Une action citoyenne? Une pratique sociale et éducative? Un instrument de communication? Une pédagogie ? un engagement? ... Ce n'est qu'une étrange façon d'être au monde, de jouer avec des apparences et de s'approcher du vrai : le monde est un abîme, les tableaux y mènent...Impossible d'avoir la tête ailleurs... Nous sommes attentifs à garder les pieds sur Terre, danser à deux ou à mille, se tenir chaud, se donner de l'amour , se faire des misères et rendre des comptes... mais ce n'est pas la belle manière de garder les yeux en face des trous. La belle manière c'est de s'aimer assez pour ne pas être fou, de quitter le troupeau, de se rincer l'oeil soi-même. Tout ce qui fait rentrer dans la foule est devenu mortel...Les consciences en effet sont dressées...
 
portrait de profil. huile sur bois . michel ducruet.la genèse entre les mains de dieu. photo michel ducruet.poulet "malévitch" . huile sur toile. michel ducruet. verneusses
Jouer avec des apparences (Ducruet©, Divers 1975-2000 )
vanité des relations. la main . huile sur toile. michel ducruet. verneusses
La main (Ducruet©, 2002 )
     
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