MATIN ET SOIR. Louise Palluet née Prajoux.
 
 
..............paysage de Touraine.Touraine©.Ducruet.M
   

Héraclite avait la bonne formule: " On ne se baigne jamais dans le même fleuve. " Or la plupart des hommes se vantent de faire durer les choses. Les pessimistes, les râleurs, les adolescents perpétuels, les sans-enfants, les prophètes de malheur se méfient du présent et des pestes de l'avenir. Les archéologues ont trouvé des tablettes où les scribes se plaignent des jeunes qui ne veulent ni ne savent plus rien faire... On dirait que la moitié des hommes espère la fin du monde pour se consoler de ses fesses tombantes, de quelques dents perdues ou pire encore, d'impossibles érections ... C'est vieux comme la vieillesse, mais courant dans la littérature et les essais du vingtième siècle. Misères et "no future " se vendent très bien, combinés à des explorations sexuelles sans espoir et un fond commun de misogynie talentueuse... Les cris d'épouvante y sonnent les heures dans des forêts vierges qui ont vu le loup depuis longtemps...

Ma grand mère avait du bon sens, un goût modéré pour le travail hystérique et vingt ans en 1912. Elle se donnait une chance : "Il y a plus de veaux que de vieilles vaches qui vont à l'abattoir..." Elle ne se moquait de personne, laissait le temps au temps, ne craignait que les coups de froid ou les incendies... Elle perdit ses amours au Chemin des Dames. Pour le domaine et deux orphelins elle fit un second mariage... Deux autres naissances puis encore la guerre, son fils en allemagne... Elle aimait raconter des faits divers comme la chasse au lion en gare de Saint-Priest-la-Roche vers 1910... Les bons mots et les aventures passaient chez elle avant de voltiger un peu plus loin... Le facteur aux trois-quarts de la tournée y prenait du plomb dans l'aile: " Tonius, finissez ce canon pour me faire plaisir..." Avec une autorité que personne ne pouvait gêner, elle était du côté de la gourmandise, du pardon des offenses, de la récompense, de la paix perpétuelle et de l'honnêteté... Elle savait lire et bien lire, citait les fables de La Fontaine avec une tendresse pour les proverbes de la fin.

Elle avait une chaise dans son potager d'où on voit la plaine du Forez, les monts de la Madeleine, le pays d'Honoré d'Urfé... J'imagine que lui revenaient des bruits d'attelages,d'enfants, de fêtes et de sabots cloutés, des bruits d'étables, des chants d'églises... que les feuilles remuaient devant elle comme dans les vieilles histoires où il y a des fées... Elle y restait deux ou trois heures les jours d'été, tournée au sud... Elle se mêlait aux paysages, aux troupeaux de charolaises, surveillait ses poules... Elle soignait ses "ratés" de grandes casseroles de blé, le bras gauche appuyé sur une canne : c'étaient des sussex qui avait avalé des graines de raticide et qui n'arrêtaient plus de se remettre sur pattes après deux jours de coma... Elle connaissait par coeur l'histoire de l'auberge de Peyrebeilles où les patrons mirent des voyageurs au saloir, la triste fin du comte Jean tué par son cheval un soir de Noël vers 1250 dans son château de Montbrison, le voyage en train de l'éleveur de faisans avec ses oeufs de fourmis, les blagues de Valois le menteur, les ruses du père Pizet... La vie toujours dans la danse...

 
     
..............Touraine 2004©.Ducruet.M
     
     
     
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