BÊTES A CORNES ....
 
 
Ducruet. ©.2009.
 
 

Dans les peintures anciennes les boeufs disent le travail des champs, suivent d'un pas nonchalant les courbes de chemins paisibles. J'en ai vu tirer les charrues, tombereaux et troncs d'arbres dans les années cinquante, grands boeufs charolais de 800 kg, spectaculaires à l'arraché, inséparables jusqu'à la mort. Ils avaient avec les hommes conclu un pacte d'amitié à la fin de l'âge d'or, quand Saturne mit le monde au travail et que la Terre décida de ne plus faire crédit.

Il me fallait de gros vers pour attrapper des barbeaux dans les tourbillons de la Loire après l'orage, monstres parfaits pour les hameçons de 2 et la pêche à la "calée", qui rampaient la nuit sur les labours ou se retrouvaient en l'air quand passait le versoir... je les mettais dans une boîte de conserve , j'avais le nez dans l'odeur de l'attelage et de terre fraîche, curieux des tractions et flexions des jambes, des coups de queues sur les mouches, des têtes inclinées sous le joug, du bruit de glisse du soc en acier derrière son coutre, des avant-bras noués aux manches de bois et des sabots dans le sillon... Quand les bêtes avaient sué six heures, les hommes levaient le pied, rajustaient ceinture de flanelle et béret en laissant voir du cheveu mouillé et de la peau blanche sur une tête cuite au soleil... On rentrait les boeufs, pour un petit repos à l'abri des courants d'air, puis on les menait boire et on les rentrait de nouveau pendant la soupe et le temps de la sieste jusqu'à trois heures... On repartait pour un tour jusqu'au soir et après boire on les mettait au champ ou à l'étable ... Ainsi filaient les travaux et les jours, peu différents des modèles romains et fort semblables aux enluminures des frères Limbourg...

Les vaches avaient un nom, chacune avait son lait... Ma grand-mère soignait son monde : "La Charmante" pourvut de biberons et de caillé des générations de marmots, de malades et d'invités... Le reste du troupeau servant à de moindres frais... Les fromages changeaient ainsi de goût tous les kilomètres, le pain d'une table à l'autre, le vin dans chaque maison... C'était un monde immense planté entre le ciel et l'enfer d'où s'évadaient quelques conscrits pour des régiments du train ou "Rabat-le Maroc"...

 
 
solitude proche de Livarot. photo michel ducruet
Ducruet. ©.2009.
 
 

Les temps ont changé, cinq millions de paysans sont passés à la trappe, travail de longue haleine commencé par la Troisième République sur ses champs de bataille, achevé par la Cinquième sur les marches de ses banques avec la bénédiction des suceurs d'Amérique et le plaisir dissimulé des apôtres de la faucille et du marteau... Il n'est pas difficile d'étrangler un peuple, il suffit de s'y trouver des alliés, comme fit Cortès au Mexique avec son indienne, de cuire des couilles et des cheveux gris dans la soupe du Progrès, d'exproprier les dignités millénaires au nom de l'intérêt général, de confier les humbles aux soldats du Bonheur via quelques miroirs aux alouettes, caddies, magazines, radios, télévisions, écoles et distributions de colifichets.

Donc, contrairement aux apparences, les vaches n'étaient pas semblables au temps de Ronsard ... De même les grenouilles qui n'ont rêvé de grossir comme des boeufs qu'en fumant des blondes devant la télé, démangées aux cuisses par les tracteurs et les automobiles, éblouies par le charabia des chimistes, étourdies par le concert des robinets d'eau chaude et des chasses d'eau dans les HLM , abreuvées au 12° qui tache et fourrées dans le sac des grands ensembles...

 
 
herbage au petit matin. Verneusses. photo michel ducruet
Ducruet. ©.2009.
 
   
 
 
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