AMUSE-GUEULES ....
 
 
anthropomorphes
Ducruet.©.
 
 
 

Le marché a de bons serviteurs. Ils doivent tuer l'imaginaire, le remplacer par une saine intelligence du Bien, stimuler les co-locataires du Progrès par des affirmations heureuses, un enthousiasme communicatif, une profusion de témoignages sur les lieux et les choses de la réalité... Il faut que chacun voie son extase.

Les peintres de jadis se contentaient des apparences du monde pour en costumer les puissants, étant entendu que ceux-là tremblaient comme les autres de la fragilité des chairs ... Furent ainsi posés dans les tableaux des velours, des ors, des cuirasses, perles, soies et ornements qui désignaient les enfants chéris de la Providence . Il n'y avait en somme de visibles que des illusions et des chimères, des battements d'ailes de papillon dans une vallée de larmes , toute beauté avait à se faire pardonner, tout orgueil à se faire oublier... Une espèce de gratitude générale était le propre de l'art, car le monde n'était pas celui des hommes mais celui du Créateur... Lui rendre hommage était suffisant. Parfois un regard de peintre croisait un homme ou une femme comme jadis la lanterne de Diogène dans les ruelles d'Atnènes.

Un jour d'après la Peste Noire, quand il fut établi que les rats distribuent la mort sans jugements, les hommes furent plus attentifs aux miroirs. Ils s'outillèrent de compas et de nombres, comptèrent leurs pas dans les antichambres et sur les chemins du Bonheur... Avec moins de prières et plus de raisons, des cartes précises, des observations plus nombreuses, des livres plus savants et peu à peu des cervelles plus philosophes, ils s'occupèrent des ventres plutôt que du Destin. Enfin seuls au monde, ils apprirent à en faire le tour, à le quadriller sur les globes, à creuser les montagnes, charger de pauvres diables sur des navires pour les vendre au plus offrant contre du sucre, du tabac et de l'or. La balance des changeurs prit la place de celle du Jugement dernier. Plus il y eut d'écus plus il y eut d'artistes et plus il y eut de modèles... La commodité des échanges couronne les individus. Elle anoblit leurs appétits, leurs pets, désirs et richesses pour que chacun voie l'horizon sur le bout de son nez, se pousse sur sa pente, progresse en quelque sorte vers sa royauté en se caressant le menton... L'adoration du nombril trouve son contrepoint dans l'exaltation du réel et la fête des orgasmes. Le monde se peuple d'occasions, de bonnes fortunes et d'histoires à dormir debout. La société, ou ce qu'il en reste, s'explique sans arrêt à elle-même, pas une matinée où elle ne se retourne pour examiner ses excréments, analyser ses urines , faire ses bilans sanguins, ses échographies, ses scanners, ses radios, ses repérages de marqueurs spécifiques...Elle y passe les trois quarts de la journée pour qu'enfin, à l'heure du prime time, commence le grand déballage des résultats et soit donnée l'autorisation de dormir. Mais il faut envers et contre tout, que personne ne fasse de mauvais rêves et que la nuit soit très reposante car le lendemain, les citoyens égaux doivent oublier la veille...

 

 
 
 
 
 
 
 
 
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