DE L'IMPREVU ...
 
 
Huile sur toile. Ducruet.©. 80x80 cm.
 
 

La Peinture ne peut indéfiniment se mouvoir dans le coup de gueule, la geste sexuelle, la tragédie politique, les malheurs du temps... Les annexions ont assez duré... Cent ans de filouteries sur le thème inépuisable des lendemains qui chantent, des siècles passés qui pleurent, des nombrils amoureux, des petits remuements qui veulent être considérables, des grands arrivistes qui se paient l'Olympe, des militants de la bonne humeur générale et de la fin de l'Histoire... Les jeux de mots sont épuisés, les archives bourrées, chacun trouve sa chacune et tout le monde est pressé... Ce n'est plus de l'eau qui passe sous les ponts, c'est un flot de paroles... Les antiquaires ont tout raflé, les camelots tout vendu, les voleurs tout volé, les entrepreneurs tout entrepris... Les sponsors, ni princes, ni évêques, ravalent des morceaux de Venise pour y nicher de coquettes cafétérias ou des boutiques de produits dérivés, genre taille-crayon Pollock ou culotte Picasso...La peinture d'Histoire a vécu trop de réincarnations, passant des champs de bataille aux batailles de rues, du radeau de la méduse aux cadavres des camps, des pestiférés aux dézingués de la drogue, des apothéoses de l'Industrie aux récupérateurs de métaux. Les egos débridés et les tyrans du slip ne peuvent pas monter plus haut que l'Everest serti de papiers d'emballage et de bouteilles vides... Quels boutonneux iraient perdre la vue devant la toilette d'Esther ou la mort de Procris? Sous les leds des pornos, nos semblables s'enfournent tant qu'ils peuvent sans présence de diables... Inlassables tringleries et succions, asiatiques, africaines, arabes, ukrainiennes, parisiennes, new-yorkaises... Une formidable pédagogie du plaisir et du mode d'emploi de l'amour rassasie les trous de serrures et habitue les autres... L'imagerie contemporaine se charge de la frénésie sociale. Le siècle passé nous a rétréci en mettant l'enfer et le paradis à la portée des mains... Condamnés à la ruse, à la chimie, aux arrière-pensées, au nombre, aux trous de mémoire, aux desseins inavouables, aux chaleurs insupportables, aux trains de mesures, aux productivités record, aux caméras et aux sourires... asphyxiés par nos trouvailles et proliférations, livrés aux conséquences interminables de nos bonnes actions et de nos crimes, presque foutus en somme, nous préparons le déluge, surélevons nos meubles, rangeons nos souvenirs et nos objets précieux dans des malettes, prêts à l'embarquement, à la cohue du sauve-qui-peut planétaire vers les très hautes latitudes... Ce qui restera des dix milliards de coupables, quelques millions de métis cultivés, vivra comme vers de terre dans le permafrost, en compagnie de ses graines, serres à salades, vergers de pommes, ménageries... patients pour deux ou trois millénaires, attentifs au retour des rivières, aux colombes porteuses de rameau, aux traces de souriceaux, aux rafraîchissement des mers... Seront-ils sages ou inconséquents dans leurs alcôves ? ....

Je ne crois pas que la Peinture serve à connaître ce monde ou doive le rendre intelligible... Elle en trouve d'autres...et ils attendent tranquillement que viennent s'y planter des hommes et des femmes. On se loge dans les tableaux, on ne s'y regarde pas. J'ai un faible pour les sujets les plus communs, les imageries primitives qui coupent l'herbe sous le pied des bavards : trop de tête fait mourir. Je connais des philosophes qui se croient capables de romans policiers, des critiques qui ne passent jamais à l'acte, des professeurs innombrables qui enseignent des vérités cuites. La Peinture n'est pas le papier peint des universités ni l'ornement des poèmes. Tout ce que je vois du monde danse sur un gouffre. Le "Réel" comme disent les marchands de sable, c'est l'abîme... La société, le marché, Dieu le Fils, allah, iaweh, la crauté, l'injustice, les autres, le racisme, la poisse universelle, le sexe militant et autres fonds de commerce ne m'incitent qu'à des pulsions meurtrières." L'Art "pour parler comme les "amis" de la chose, est aujourd'hui l'affaire de quelques courageux travailleurs de l'import-export, le terrain d'exercice des deuxièmes couteaux du Pouvoir. Nous sommes entourés de "Culture" du soir au matin, notre monde sue la pédagogie. Malévitch, fort incompris, sut organiser de rudes aller-retours entre la surface peinte et les trous noirs du "Réel". Cela passait par des apparences . Il finit ses jours dans les aplats colorés de formidables pantins... Aux yeux du camarade Staline, c'étaient là des enfantillages, des peines perdues, des salades inutiles sur les tables rases... Les bonnes intentions et les bons sentiments nous crèvent... Allons au diable.

 
 
 
 
 
 
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