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.............."Dites-moi, Bôzes, vous qui savez tout..." Maximilien s'était approché de la fenêtre, il se penchait un peu, le menton entre le pouce et l'index.
Bôzes avait l'habitude. Le Ministre s'énervait le mardi. Le Président se tournerait le lendemain de son côté, attendrait la fin du Conseil : " Maximilien je veux tout savoir sur cette connerie, on se voit demain à neuf heures..." Cette fois l'affaire ne semblait pas très sérieuse, il résolut d'être de bonne humeur, fit un sourire en direction du plateau d'argent et servit le café en disant que Madame Lambert avait donné l'ordre de ne pas trop cuire les croissants...
Maximilien s'approcha. Il n'avait pas de goûts de luxe, on l'avait mis en pension très jeune à l'époque des rutabagas et du Maréchal. Il aborda les années cinquante en trouvant délicieux tout ce qu'on mettait dans son assiette, il finissait son pain, laissait des couverts aussi propres que s'ils n'avaient jamais servi. Il se sentait plus ministre qu'un autre quand le café arrivait très chaud dans une porcelaine fine et plus honoré qu'un Président de la République si les croissants de chez Fauchon étaient à point... Mais ce qui lui faisait encore plus de plaisir c'était que madame Lambert portât une robe noire et un tablier brodé... Il aimait les femmes à robe noire et tablier blanc, s'attardait sur leurs souliers et leurs bas, s'enivrait de voir leurs mains disposer de jolis objets sur les guéridons, rajuster une patisserie avec une spatule, tourner une poignée de porte en partant... C'était son secret, le ressort caché de son goût du luxe ... Il se consolait ainsi du snobisme de sa femme, qui ne se voyait qu'en porte-manteau de Lagerfeld, un homme remarquable et passionné qui leur avait réalisé deux petits albums de photos en noir pour remercier madame d'avoir attiré chez lui des clientes de la concurrence... Avec son accent inimitable et sa précipitation de vocabulaire, il avait dit: " En photo, vous savez, je ne suis pas un génie comme mon ami Helmut, mais j'aime tellement la vie que j'essaie d'en prendre les bons morceaux et de partager avec les gens que j'aime..." Madame ne jurait que par lui et il était son premier sujet de conversation. Le deuxième était son vin, car elle avait hérité d'une belle bâtisse dans le beaujolais et de cinquante hectares de Chiroubles. Ses cousins faisaient dans l'acier entre Dunkerque et Fos-sur-mer. On l'avait pousssée jusqu'au bac dans un couvent des Oiseaux où elle devint incollable sur les accessoires de l'amour et de la beauté, connut les adresses parisiennes où on habille un gigolo pour vingt smics. Ils n'avaient pas d'enfants. Maximilien devait largement sa carrière au vin de sa femme, il s'était fait d'indéfectibles amitiés en arrosant ses interlocuteurs. Il avait été Ministre de l'Atmosphère dans un gouvernement de transition. Il écrivait lui-même ses discours, ce qui le distinguait de ses collègues incapables de grammaire et de style. Ses 20/20 de version grecque et latine remontaient à l'air libre dans une société sans mémoire, ils attiraient la sympathie comme le font les grandes familles du Bordelais ou d'ailleurs qui donnent à l'Etat des générations de bras droits et de beaux seins à la République...
Bôzes trouvait à Maximilien peu de qualités ordinaires dans un milieu où tout le monde cherche à savoir de quelle couleur fut l'oeuf de votre premier jour... Il n'avait pas la bonhomie redoutable des promus de l'ENA, la vivacité neutre des sortis de Sciences-Po, le phrasé des couteaux parisiens, le teint de cierge des citadins de quatrième génération... Il n'avait jamais l'air du sérail et avec le Président il faisait figure de second larron de la France profonde. Quand la province monte à Paris c'est avec du corps, de la voix, de l'estomac, de solides études secondaires et d'autres fraîcheurs dans ses rêves que les eaux courantes des grands boulevards... Maximilien avait un répertoire inépuisable d'histoires de chasse, il pouvait parler de pétrole et de bécasses. Il était honnête sans être naïf, peu porté sur la paranoïa, plus curieux de la solidité des choses qu'inquiet de celle des hommes , savait attendre au tournant... Il était donc plus homme d'état que bête politique... Les élections n'étaient pas sa tasse de thé, il se sentait à l'aise près de ceux qui avaient à faire plutôt qu'à dire... Le Président ne s'était jamais surpris à le craindre... Les femmes ne faisaient guère attention à lui car il les voyait venir de loin, prenait au bon moment l'air occupé d'un collectionneur de timbres, glissait quand il le fallait deux ou trois mots flatteurs sur son épouse... Ils avaient en commun, Bôzes et lui, de ne pas aimer les réalités, de se tenir en lisière de leur monde intérieur et des trésors qu'ils y avaient accumulés depuis l'enfance. Ils savaient tous les deux où commence le ridicule et sombre l'enthousiasme... Mitterand fut redoutable à tous mais ils avouaient ne pas comprendre que ce pharaon se soit entouré de danseuses ou de maladroits... Maximilien dit un jour à Bôzes:" Vous savez, il croit à l'image qu'il se fait des électeurs... il doit se dégoûter quelque part..."
"Oui, je me demandais ce que nous allions faire pour les Turcs... Le Président cherche une formule, il a peur de perdre l'initiative depuis que le nain jaune est secrétaire général... Il tient à finir le quinquennat sans bavures pour donner de l'air à qui vous savez. "
"Les Turcs ne sont pas nés de la dernière pluie..." Bôzes avait eu un amour de jeunesse pour l'Archéologie Byzantine et il venait de relire un bouquin de Paul Morand sur Bucarest... " Ils tiennent debout depuis cinq cents ans. Je n'aurai pas donné cher des grecs, de l'égypte et des arabes si, comme prévu sur le papier, la France et l'Angleterre avaient été battues en 14. Ne jamais oublier les Dardanelles... Depuis les années vingt la Turquie s'est ramassée sur elle-même... comprenez que la belle ne couchera qu'après de justes noces et à condition que le marié mette gros sur la table... Trente milliards d'euros par an, ce n'est pas le tarif d'une première communiante... Nous avons affaire à la deuxième Maffia d'Europe, mon cher Max. Vous direz au Président que l'Islam dans cette affaire n'est que la vaisselle jetée dans la cuisine... La vérité c'est que depuis 1204 nous avons botté les fesses de Byzance et que si nous lui ouvrons les portes de nos chambres à coucher ça n'est pas pour qu'elle prenne des patins à poil..."
Maximilien leva les sourcils, faillit s'étrangler avec son café:" Bôzes, il va adorer, je vous dis que le nain jaune crèvera de jalousie... je sais qu'il cherche une grande gueule pour caler ses discours... Le président va le faire piquer du nez en plein conseil !....
