L'Avenir est le fond de commerce des gourous, des prophètes et des marchands du Temple. Les astrologues, tireuses de cartes et liseuses de mains ne sont pas en reste. Les scientifiques ont leur mot à dire ainsi que les fabricants d'armes et les économistes, deux professions redoutables dans leur domaine, le désespoir et la suffisance. Nous sommes toujours très attentifs quand un siècle commence. Le concert des lamentations joue fortissimo. Nos cent dernières années furent admirables. Deux boucheries générales, des explosions à n'en plus finir, des gazages à grande échelle, quelques révolutions généreuses en tortures, quelques tortures d'un nouveau genre, l'antisémitisme exporté chez les sémites, les progrès de la machette en Afrique orientale, des virus en maraude et j'en passe... Il est trop facile d'en rester là, de se contenter de ces renvois indigestes pour accuser les cuisines de tentatives d'empoisonnement. Il y eut aussi de merveilleux entremets, des écrivains, du cinéma, des photos... des antibiotiques pour les tuberculeux, des chansons pour tous et des vacances au bord de la mer... Jamais autant d'enfants n'ont eu autant d'avenir, au propre comme au figuré... Jamais on n'a autant mangé et bu en dehors des jours de fêtes... J'aime le siècle qui commence.

Il sera plus dangereux que l'autre, puisque je n'arriverai pas à la mi-parcours, peu susceptible d'être centenaire et gaillard vers 2045, en dépit des hivers plus tièdes et des avancées médicales. Mais en peu de temps devraient s'évaporer beaucoup d'illusions. Jamais peut-être on n'aura tant besoin d'intelligence et de finesse pour échapper à la mort de tous, tels que nous sommes, injectés d'appétits contradictoires et sordides, tiraillés entre désir de mort et instinct de vie... Armés de tous les poignards et poisons mortels, mais amoureux et bercés de musiques, à la croisée des virages vers l'Enfer ou le jardin d'Eden. Siècle d'échéances pour que soit payé l'orgueil facile des progrès à crédit. Siècle de remords à cause des massacres de bêtes plus abominables que les exterminations humaines, des disparitions de forêts plus cruelles que la fin des Atlantes... Seront déchaînées les gesticulations morbides, les passions éculées, les tares interminables. Plus malins que les diables, plus solides que les vieux chênes et souples que les roseaux, le sort sera favorable aux plus jeunes à condition qu'ils aiment l'eau pure, le vent, le bruissement des arbres et la légèreté... Celle des amants de la Lune et des mots ... mais aussi tueurs de vampires et chasseurs de larmes.